J’ai été fatigué toute ma vie. J’ai mis très longtemps à me rendre compte que ça n’était pas normal. Tellement longtemps, que je vais passer rapidement sur le sujet, parce que c’est embarrassant… Ça a été pénible chaque jour, mais ça l’est encore un peu plus depuis que je sais que tout le monde n’est pas victime de ce genre de problème. Ceci dit, je ne suis pas là pour me plaindre, mais pour raconter mon expérience, pour, peut-être, dire à d’autres personnes dans mon cas que ça n’est pas si grave et, j’espère, pour faire comprendre aux gens qui se réveillent en pleine forme ce que peut-être une journée dans la vie d’un insomniaque.
Laissez-moi tout d’abord vous dire que je ne suis pas un spécialiste du sommeil, à tel point que je ne suis même pas certain d’entrer dans la catégorie des insomniaques, médicalement parlant, mais peu importe : le problème n’est pas tant le vocabulaire que le résultat. Les experts détecteront donc sans doute des « erreurs » dans mon récit… Ceci étant dit, place au spectacle.
Mon principal problème est que je me réveille plus fatigué qu’au coucher. Peu importe le nombre d’heures de sommeil, deux ou quatorze, j’ai une peine infinie à me réveiller. J’ai les paupières incroyablement lourdes, les yeux qui piquent, la vision trouble, généralement un peu envie de vomir (j’ai souvent des réflexes de vomissement en me brossant les dents (et sans aller me gratter la glotte… le simple fait d’ouvrir la bouche moins de 30 minutes après le réveil peu suffire)), j’ai toutes les peines du monde à avaler un maigre déjeuner uniquement liquide et je suis incroyablement fatigué. Le matin, je pourrais m’endormir en 5 minutes.
Je me bats toute la journée contre la fatigue, par vagues plus ou moins sévères. Il va sans dire que la digestion après midi fait parfois très mal…
En deuxième partie d’après-midi, les choses changent enfin : je commence gentiment me sentir bien. Vers 21h, je pète généralement le feu. Formidable. Vers 23h, je vais me coucher et je lis un moment pour me fatiguer la tête. Ca marche en général assez bien, et vers minuit j’éteins la lumière et m’endors rapidement.
Une heure après, c’est le réveil. Je me tourne, trouve une position confortable et me rendors dans les 10 minutes. Une heure après, c'est le réveil. Même scénario. Ensuite, les phases de sommeil se raccourcissent. Je me réveille 8, 9 ou 10 fois avant 7h. Et c’est une nouvelle journée qui commence.
Jusqu’ici, tout va bien.
Je me suis rendu compte que j’ai des « troubles » que d’autres non pas. C’est parfois rigolo, parfois non.
Au moment de m’endormir, je fais souvent un rêve très court, où je tombe dans les escaliers, ou me ramasse un truc au visage, ou un quelconque événement sans réelle conséquence mais « brutal ». Je sursaute, et me retrouve parfaitement éveillé. Je dirais que cela m’arrive 5 nuits par mois.
Avec à peu près la même fréquence, il m’arrive, au moment de m’endormir, de percevoir un flash blanc et comme le bruit d’une radio sans station, très brièvement, et très fort. La décharge d’adrénaline est alors formidable : le cœur bat la chamade, la respiration est plus profonde et plus rapide. En gros, c’est la bonne vieille peur viscérale. Pas facile de s’endormir après ça.
Evidemment, il m’arrive également de ne pas pouvoir trouver le sommeil, même en étant physiquement et psychologiquement au bout du rouleau. Nous sommes ici, je pense, dans un schéma plus que classique…
Heureusement, il m’arrive également des trucs bizarres au réveil, sinon tout cela serait bien monotone.
Une ou deux fois par mois, pas plus, dans des circonstances assez précises (et probablement sans intérêt), je n’arrive pas à ouvrir les yeux le matin. Je veux le faire, je peux même presque le faire, mais je ne peux pas, physiquement, les ouvrir. Non seulement mes yeux brûlent alors terriblement, mais en plus après 4 ou 5 secondes, mes paupières retombent malgré tous mes efforts. Soyons bien clairs : je ne parle pas métaphoriquement, et je ne suis pas simplement flemmard. Je ne peux pas, musculairement, ouvrir mes yeux. Généralement, je suis dans un état très étrange, où je crois soudain pouvoir me lever et commencer ma journée alors qu’il ne s’agit que d’une sorte de rêve éveillé : je me retrouve soudain « aspiré » vers la situation initiale, à me battre contre me paupières. Le processus se répète plusieurs fois, jusqu’à ce que je puisse me lever. C’est très perturbant, même si c’est assez « drôle » à vivre. C’est un état que je considère comme étant proche du délire (quand j’étais petit, j’avais des hallucinations en cas de fièvre, et je m’en souviens bien, d’où une certaine expérience, si j’ose dire).
Dans des cas rares, je ne peux pas bouger mon corps au réveil (ça m’est arrivé 2 fois uniquement). Ca n’est pas du tout la même chose que ce que j’essaie péniblement d’expliquer dans le paragraphe ci-dessus. Lorsque je ne peux pas ouvrir mes yeux, j’ai le sentiment que mon corps est en plomb, mais j’arrive par exemple à tourner la tête pour essayer de voir l’heure (ce qui est parfaitement inutile vu que je n’arrive pas à maintenir mes yeux ouverts suffisamment longtemps pour faire le point visuellement…). Dans ces cas rares où je ne peux pas bouger, je n’ai pas de sensation spéciale au niveau de mon corps : je sens qu’il est là, mais je n’arrive pas à interagir avec lui. La première fois, j’ai eu la peur de ma vie, je peux l’assurer. Je ne pense pas que cela dure plus de deux minutes, mais ce sont de longues minutes. J’ai en outre l’impression d’être parfaitement conscient. Une fois ma mobilité retrouvée, je suis parfaitement éveillé (et d’ailleurs, je suis éveillé comme jamais le matin, mais c’est sans doute du au fait que je viens d’avoir une peur panique pendant deux minutes…).
J’ai un peu tout essayé pour avoir une vie normale : boire des quantités malsaines de café, m’enfiler toutes sortes de tisanes apaisantes, les siestes rapides, le sport, le cannabis, l’alcool, les médicaments, mais le truc le plus stupide que j’ai fait a été d’arrêter de dormir.
Partant du principe que dormir deux ou douze heures ne change rien à mon état de fatigue au réveil, j’ai tenté de réduire mes heures de sommeil au strict minimum : avec un peu d'entraînement, j’ai donc pu abaisser mon temps de repos à 2h par nuit : les 3 premiers jours sont cauchemardesques, puis l’habitude prend le dessus et pendant une dizaine de jours, c’est le bonheur. Pas de fatigue apparente notablement supérieure à la normale et un temps de « vie » colossale pour faire des tas de trucs. Après, très rapidement, les choses se dégradent. Disons simplement que j’ai abandonné cette petite expérience le jour où, arrivant chez moi, j'ai pris le journal avec la ferme intention d’aller le lire au salon, mais qu’une fois posé sur le canapé, je n’avais plus le journal en main. Je l’ai retrouvé par terre, dans le couloir, non loin de la porte d’entrée grande ouverte avec les clefs également au sol, sans le moindre souvenir d’avoir lâché quoi que ce soit. Ce soir-là, à 21h j’étais au lit : impossible de m’endormir. Il m’a fallu quelques jours pour retrouver un semblant de rythme.
Tout ça c’est bien beau, me dira-t-on, mais c’est déprimant. Oui, mais pas tant que cela. Je me suis fait à la situation, et je m’adapte en fonction de ce problème. Je pense que dans ce genre de situation, chacun peut trouver des petits trucs pour lui faciliter la vie. Et puis j’ai pu lire Proust, Céline, Huysmans, Michener, et voir une quantité industrielle de films, bons et mauvais… L’important, je crois, est de ne pas se morfondre et s’apitoyer sur soi-même et de prévenir les personnes qui risqueraient d’être présentes à votre réveil que le matin, c’est silence radio jusqu’à nouvel ordre
Voilà. C’est tout. Enfin.
C’était ma petite pierre apportée à l’édifice. Félicitations à ceux qui ont tout lu !
SJ